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Quel féminisme?
18 janvier 2011

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Qui sont les "escort boys"?

Par Kévin Le Louargant, publié le 12/01/2011 à 07:21


Ils sont étudiants ou même salariés, vendent leur corps par besoin d'argent, mais pas seulement. Enquête sur un commerce du sexe qui, loin du trottoir et des lieux gays, prospère grâce à Internet.

 

Une silhouette gracile se détache de la foule massée aux abords de la gare Saint-Lazare. Regard bleu perçant, joues légèrement creusées et port altier, Grégoire (1) est conforme à la description laissée sur Internet: "Beau jeune homme, élégant et bien éduqué." En dépit de ses baskets vertes et de son jean slim délavé qui lui donnent une allure d'ado, ce designer de 30 ans a effectivement le phrasé impeccable de ceux qui savent se mouvoir en société. Sous son bras, le dernier Goncourt, La Carte et le territoire, de Michel Houellebecq. "Les clients recherchent souvent une conversation agréable. Je dois être capable de parler de l'actualité littéraire et cinématographique", dit-il, en effleurant du doigt son récent achat. A ses atouts culturels, Grégoire joint son sens de la discrétion. Une qualité que doivent particulièrement goûter ses clients. Car, en plus d'être designer rémunéré 2000 euros par mois, Grégoire est aussi "escort boy" depuis sept ans. "Je décommande souvent, c'est un moyen de se faire davantage désirer", glisse-t-il, d'un ton posé. Loin de l'image éculée du micheton officiant dans les quartiers mal famés, le jeune homme incarne l'un des nouveaux visages de la prostitution masculine, bouleversée, elle aussi, par Internet. 

Terminée l'époque où les prostitués faisaient la fortune des établissements de Montmartre, Saint-Germain-des-Prés ou de la rue Sainte-Anne, refuges successifs du milieu homosexuel parisien. Les années 1980 ont sonné le glas de ces lieux interlopes. "Avec l'embourgeoisement du Marais, la prostitution n'a plus été tolérée par les gays au sein des bars et discothèques, raconte Hervé Latapie, patron d'une boîte de nuit parisienne, et auteur de Doubles Vies. Enquête sur la prostitution masculine (éd. Le Gueuloir). Ils ne voulaient plus être associés au phénomène. Elle a donc été reléguée du centre vers la périphérie et connaît maintenant une recrudescence grâce à Internet. La Toile permet de travailler dans des conditions plus sécurisées et confortables que la rue." Exception faite, bien sûr, du bois de Boulogne et de la porte Dauphine, où les réseaux mafieux continuent d'exploiter travestis et mineurs immigrés. 

Sur Gayromeo, 2 500 "escorts" français sont répertoriés

Pour arrondir mes fins de mois, j'ai très vite pensé à devenir escort 

L'heure est donc désormais aux "escort boys", comme on dit sur le Web, euphémisme branché et flou, mais qui ne change rien à la réalité de la chose. Les rares garçons qui acceptent de témoigner l'assument d'ailleurs sans fard, à l'image de Julien: "J'aime le sexe et j'aime l'argent." 20 ans, une carrure de nageur et des traits candides, cet ancien apprenti cuisinier est inscrit depuis un an sur Gayromeo.com, un site domicilié aux Pays-Bas devenu la référence dans la profession. Aujourd'hui, 2500 "escorts" français y sont répertoriés, dont les deux tiers à Paris, alors qu'ils n'étaient que 50 à l'ouverture du site, en 2004. Dissimulés sous des pseudonymes plus ou moins explicites, où la mythologie grecque connaît une improbable résurgence - les Achille, Adonis et Apollon y sont légion - ces vendeurs de sexe tarifé ont pour la plupart entre 18 et 30 ans. Trois clics suffisent à entrer en contact avec eux. Leur profil? Des étudiants, des étrangers fraîchement débarqués dans la capitale, de jeunes salariés aussi. La majorité d'entre eux travaillent sans proxénète et assurent vivre cette aventure par choix. Julien, peu avare de détails, explique ses motivations tout en sirotant tranquillement son jus d'orange:"A la fin de mon apprentissage de cuisinier, je me suis rendu compte que je ne pourrais jamais satisfaire mes goûts de luxe avec les salaires qui m'attendaient dans la restauration. Alors, pour arrondir mes fins de mois, j'ai très vite pensé à devenir escort. Maintenant, je peux payer la bouteille de champagne à mes potes en discothèque!"  

A en croire l'outil Google Insight, qui compare le volume de recherches de mots-clefs sur Internet, les recherches "escort boy tarifs" et "escort boy recrutement" ont respectivement progressé de 450 et 300 % au cours de l'année passée. C'est au printemps et avant la rentrée scolaire de septembre qu'explose la demande. De même, un tropisme méridional semble s'exercer, puisque le Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Côte d'Azur devancent d'une courte tête l'Ile-de-France. Des sites comme Gayromeo ou Escupido profitent allègrement de la permissivité du Web. Au regard de la législation française, ces plates-formes se livrent à une activité de proxénétisme - considérée par la loi comme le fait "d'aider, d'assister ou de protéger la prostitution d'autrui". Mais, en raison de leur domiciliation aux Pays-Bas, elles sont protégées par la législation batave, bien moins répressive que celle en vigueur dans l'Hexagone. L'Union européenne trouve ici des bénéficiaires inattendus. 

Paul, lui, est un étudiant anglais. Il vend ses charmes pour rentabiliser l'"année sabbatique" qu'il s'est offerte avant d'intégrer une prestigieuse business school. Le corps - son corps - transformé en vulgaire marchandise? "Et alors? Je suis un produit parmi d'autres, avec des caractéristiques qui attirent une certaine clientèle, dans mon cas les hommes mariés, dans la quarantaine." La Toile aura-t-elle raison de l'un des derniers tabous, le corps intouchable et non monnayable? "Internet banalise davantage le sexe que la prostitution mais il est vrai qu'il la facilite, précise Michel Dorais, sociologue canadien qui a consacré un ouvrage aux prostitués, un champ de recherche toujours en friche dans la sociologie française. Le Web permet un choix un peu plus sûr des clients, puisque les relations sont prévues et négociées à l'avance par mail ou téléphone." 

Ses revenus peuvent grimper jusqu'à 5000 euros par mois

Chez ces garçons blasés qu'on croirait tout droit sortis d'un roman de Bret Easton Ellis, certains ont moins choisi que d'autres. Martin, par exemple, mis à la porte de chez lui à 16 ans par des parents qui n'admettaient pas ses préférences homosexuelles. "Je devais payer un loyer de 300 euros tous les mois, à peine ce que me rapportait n'importe quel petit boulot, raconte-t-il. Dans le milieu gay, on me disait que j'étais mignon, que je pourrais gagner jusqu'à 500 euros par jour. Entre ça et la galère, ma décision a été vite prise." Pour ce garçon à la chevelure ébouriffée et au visage cerné, vendre ses faveurs est devenu une routine. "Je refuse rarement les clients, sauf quand ils sont trop gros", avoue-t-il, en souriant. A 19 ans, Martin se rêve maintenant en Bel-Ami plutôt qu'en Boule de suif: "Grâce à cet argent, j'ai pu reprendre mes études de lettres. Je finirai sans doute par faire autre chose. J'aimerais devenir journaliste, même si cela devait me rapporter beaucoup moins." Et pour cause: les "bons mois", ses revenus peuvent grimper jusqu'à 5 000 euros, net bien sûr. 

Argent facile? "Mieux vaut parler d'argent rapide", nuance Hervé Latapie. Les clients déboursent en moyenne 150 euros pour une heure et 500 euros pour la nuit, une somme généralement "non négociable", d'après les intéressés. La majorité des escorts s'en tient à ces tarifs plus élevés que la prostitution de rue. Car, si la concurrence au sein des sites favorise une surenchère de pratiques "trash", elle n'est nullement synonyme de guerre des prix, les escorts s'entendant tacitement entre eux. Les Sud-Américains seraient les seuls à ne pas jouer le jeu, à en croire Julien, tout de suite moins détendu lorsqu'il parle d'argent:"Ils essaient de casser le marché, de pratiquer les mêmes tarifs que sur le trottoir." 

Les clients, eux, relatent sans détour leurs ébats sexuels dans le livre d'or associé à chaque profil d'escort sur Gayromeo. Ils disposent aussi de groupes privés à l'intérieur du site dans lesquels ils commentent les performances des "produits". Dans le trio de tête, les jeunes beurs "de banlieue", les éphèbes de l'Est et les Méditerranéens musculeux. Pourtant, assure Grégoire, le designer, tout n'est pas qu'affaire de sexe et de sous. "Les clients cherchent un mélange de perfection physique et d'être évanescent, presque inaccessible." Et lui, que cherche-t-il vraiment? "Je crois que j'aime l'image que me renvoient les clients, le fait qu'ils me désirent. Ce doit être de l'ordre du délire narcissique", s'amuse-t-il, un peu grandiloquent. Ego, corps-objet et argent roi: il n'y a pas que chez les escort boys que la formule fait fortune. 

(1) Tous les prénoms ont été modifiés.  

 

 

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